16/07/2025 journal-neo.su  7min #284336

 Les fondements de la coopération russo-guinéenne - Partie 1 : relations historiques et diplomatiques

Les fondements de la coopération russo-guinéenne - Partie 5 : les futuribles

 Mohamed Lamine KABA,

Pilier stratégique de l'axe Russie-Afrique, la coopération russo-guinéenne s'affirme comme un moteur d'émancipation économique et géopolitique pour le Sud global dans un monde en pleine recomposition.

La Russie et la Guinée sont liées par coopération historique qui, aujourd'hui s'inscrit dans un contexte géopolitique marqué par une recomposition des alliances, des rivalités entre puissances et des dynamiques complexes de guerres par procuration, de crises régionales et du tristement déclin des hégémonies traditionnelles. Dans ce cadre, la relation russo-guinéenne apparaît comme un levier stratégique pour renforcer l'axe Russie-Afrique susceptible de contribuer à l'émergence d'un Sud global plus autonome et influent. Il convient donc de démontrer la viabilité de cette relation, son irréversibilité et son degré d'enracinement dans la nouvelle configuration de l'échiquier global et aussi le destin même de celle-là. Cette cinquième et dernière partie d'une série de 5 articles dédiés à la coopération entre la Russie et la Guinée analyse en deux points repères, les perspectives de celle-ci, en s'appuyant sur des dynamiques historiques depuis le 4 octobre 1958 et des tendances géopolitiques actuelles, tout en mettant en lumière son potentiel positif pour les deux nations, l'Afrique et le Sud global.

La coopération russo-guinéenne comme levier stratégique pour l'Afrique et le Sud global

Sans l'ombre d'aucun doute, la coopération entre la Russie et la Guinée s'inscrit dans une dynamique de renforcement des partenariats Sud-Sud. Elle offre à l'Afrique une alternative crédible face aux influences historiques des puissances occidentales. Depuis l'indépendance de la Guinée en 1958, la Russie - alors URSS - a joué un rôle clé dans le développement économique et social du pays, notamment à travers la construction de l'Institut polytechnique de Conakry (aujourd'hui Université Gamal Abdel Nasser) et l'exploitation de la bauxite par des entreprises comme Rusal. Aujourd'hui, cette collaboration s'intensifie dans un contexte géopolitique marqué par une recomposition des alliances et un regain de rivalités entre grandes puissances. La Guinée, riche en ressources naturelles (bauxite, fer, or, etc.), représente un partenaire stratégique pour la Russie, qui cherche à consolider son influence en Afrique face à la politique d'endiguement des Etats-Unis qui la cible depuis 1946, étendue trois ans plus tard sur la Chine à la suite de la proclamation de la République populaire de Chine en 1949 et sur l'Iran après la révolution islamique de 1978-1979.

La Russie apporte à la Guinée des investissements massifs dans les secteurs minier, énergétique et militaire, tout en promouvant une approche non interventionniste, contrairement aux conditionnalités imposées par les institutions occidentales comme le FMI. Par exemple, la signature d'un  avenant en juillet 2017 entre Conakry et Moscou pour l'exploitation de la mine de Dian-Dian, l'une des plus grandes réserves de bauxite au monde, illustre cette synergie. En retour, la Guinée offre à la Russie un accès privilégié à ses ressources et un appui diplomatique au sein des instances africaines, notamment l'Union africaine. Cette coopération s'inscrit dans une vision plus large de l'axe Russie-Afrique, consolidé lors des sommets Russie-Afrique à Sotchi (2019) et à Saint-Pétersbourg (2023), la conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique à Sirius (2024), ainsi que lors du récent Forum économique international de Saint-Pétersbourg ( SPIEF) ayant une nouvelle fois éclipsé le G7 en juin 2025. Au cours de ces rencontres de haut niveau, la Russie a promis des investissements de plusieurs milliards de dollars pour des projets d'infrastructures et de développement durable dont les actifs sont déjà visibles à travers l'Afrique.

Dans un monde marqué par les guerres par procuration (Ukraine, Soudan, Sahel) et les tensions géopolitiques (crise en mer de Chine méridionale, conflit israélo-iranien), cet axe offre au Sud global une alternative pour contrer l'hégémonie occidentale en déclin face à l'effritement de l'OTAN et à la servilité de l'Union européenne vis-à-vis des Etats-Unis. La Guinée, par sa position stratégique et ses ressources tout aussi stratégiques, devient ainsi un pivot pour cette nouvelle architecture géopolitique, renforçant la résilience et l'autonomie des nations africaines.

Un partenariat au service d'un nouvel ordre mondial : Russie, Guinée et l'émergence du triangle Russie-Chine-Iran

Le nouveau triangle de pouvoir s'érige depuis un bon moment, aux deux angles incontestables la Russie et la Chine au cœur de la politique d'endiguement des Etats-Unis qui, aujourd'hui peinent à maintenir son homéostasie au troisième angle face à un Iran devenu est une puissance moderne dotée d'une supériorité militaire contraignante.

La coopération russo-guinéenne s'inscrit également dans la montée en puissance d'un nouveau triangle stratégique Russie-Chine-Iran, qui redéfinit les équilibres mondiaux face aux ambitions américaines, telles que les volontés exprimées d'annexion du canal de Panama, du Groenland ou encore du Canada, ou la construction controversée d'une « riviera » à Gaza. Ce triangle, renforcé par l' accord tripartite annoncé en 2025 après les frappes américaines contre des sites nucléaires iraniens, repose sur une convergence d'intérêts : contrer l'influence occidentale, promouvoir un multipolarisme inclusif et sécuriser les routes commerciales (nouvelles routes de la soie) dont la Guinée, avec sa façade maritime de plus de 300 km et ses potentialités fluviales constituées de plus 20 fleuves internationaux navigables, offre un avantage unique face aux tensions en mer de Chine méridionale et dans l'Indopacifique. La Russie, avec son expertise militaire et énergétique, la Chine, avec sa puissance économique et logistique, et l'Iran, désormais perçu comme une puissance militaire moderne, forment un bloc capable de défier l'homéostasie américaine.

Pour la Guinée, ce partenariat offre des opportunités uniques. En intégrant des initiatives comme les BRICS, dont la Hongrie ambitionne de rejoindre elle aussi, la Guinée pourrait bénéficier d'un accès accru aux financements alternatifs et aux technologies avancées, notamment dans les domaines de l'énergie renouvelable et de l'agriculture. La Russie, via des entreprises comme Rosatom, propose déjà des solutions pour le développement de l'énergie nucléaire civile en Afrique, un secteur où la Guinée pourrait se positionner en emboîtant les pas du Mali (son voisin de proximité et de communauté de destin) et du Burkina Faso. Par ailleurs, la formation de cadres guinéens dans les universités russes, avec un nombre élevé de bourses accordées annuellement, renforce les capacités humaines du pays. Ce partenariat s'étend également à la sécurité, avec des accords de formation militaire et de livraison d'équipements, permettant à la Guinée de mieux lutter contre les menaces hybrides au Sahel, une région déstabilisée par des conflits par procuration menés sous le masque du terrorisme.

Dans ce contexte, la coopération russo-guinéenne devient un modèle pour l'Afrique et le Sud global. Elle illustre comment des partenariats fondés sur le respect mutuel et la complémentarité économique peuvent contrer les rivalités des grandes puissances et promouvoir un ordre mondial plus équitable. En s'appuyant sur des données tangibles, comme les engagements pris lors des sommets Russie-Afrique et les investissements concrets dans les infrastructures guinéennes, cette collaboration apparaît comme un moteur de développement et d'émancipation pour les nations africaines, dans un monde où les anciens blocs s'effritent et où de nouvelles alliances, portées par des puissances comme la Russie, la Chine et l'Iran, redessinent l'avenir géopolitique.

On peut dire qu'en conjuguant souveraineté économique et alliances stratégiques, la coopération russo-guinéenne catalyse l'émergence d'un ordre mondial multipolaire où l'Afrique et le Sud global s'affirment face aux dynamiques hégémoniques.

Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine

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